![]() |
En page couverture : Scène d’hiver dans les Laurentides, Cornelius David Krieghoff (1815-1872, Pays-Bas) |
Groupe de théologie contextuelle québécoise (GTCQ)
Juin 2014
Sommaire
Introduction
I. Impasse et racines du rapport actuel au territoire
1. La non viabilité sociale et écologique du rapport actuel au
territoire
2. Comment une telle vision peut-elle continuer à s’imposer?
II. Visions
alternatives du territoire
1. Vers une vision différente du rapport à la nature …
2. … et une autre vision de notre
rapport au territoire
3. L’émergence de pratiques alternatives
III. Refaire
alliance
2. L’incarnation comme accomplissement de l’Alliance
3. Une Alliance porteuse d’espérance
4. Quelques pistes d’orientation
(Pour obtenir le texte complète en PDF, allez ici.)
Le territoire et nous 3.
Un regard à transformer
Depuis les origines, le territoire a nourri, provoqué et
enchanté l’imaginaire québécois. Célébré par les poètes, aménagé par les
bâtisseurs du pays, admiré par les voyageurs d’ici et d’ailleurs, il se débat
aujourd’hui devant les assauts et les déséquilibres qu’on lui fait subir. Une
distance et même une rupture risque de se créer entre le territoire et nous. Le
regard que nous portons sur lui est brouillé, teinté de convoitise chez les
uns, embué d’inquiétude pour les autres.
Dans les pages qui suivent, nous espérons
contribuer à clarifier ce regard en vue de redresser notre rapport au
territoire. Nos propos s’inscrivent dans
la foulée de la réflexion entreprise par le Groupe de théologie contextuelle
québécoise (GTCQ)
en ce qui a trait à la mise en valeur des ressources non-renouvelables
du sous-sol québécois. Deux textes ont été produits à ce jour, l’un donnant une
vue d’ensemble des problèmes de divers ordres soulevés par quelques situations
litigieuses typiques, et l’autre faisant état des positions bien concrètes en
présence ainsi que des visions ou logiques paraissant sous-tendre ces
positions.[NdE: Regard dans les archives: Mars 2012 et Mars 2013]
En supposant connue la teneur de ces deux textes[1],
nous poursuivrons en abordant cette fois ce qu’on pourrait appeler une
théologie contextuelle du territoire. Nous procéderons
en trois moments. Nous nous attarderons, en premier lieu, sur ce qui fait problème dans la vision du
rapport au territoire qui prévaut aujourd’hui. Suivra ensuite un aperçu de la richesse des visions alternatives du
rapport au territoire qui, pour être minoritaires, n’en sont pas moins
présentes aussi sur le terrain. On ne devra pas se surprendre que ces deux
réflexions initiales fassent partie intégrante de la démarche théologique. En
effet, en théologie contextuelle, l’analyse des situations et des enjeux en
cause permet de mieux cerner les «signes des temps» : au même titre que
l’expérience biblique et la tradition, ils constituent eux aussi un lieu d’où
Dieu nous parle et interpelle.
Enfin, nous essayerons de
discerner plus explicitement la logique ou le point de vue d’un Dieu qui s’est
engagé avec l’humanité en prenant chair d’abord dans un territoire spécifique
au Moyen Orient. Nous chercherons ainsi le
filon théologique qui pourrait nous inspirer et nous guider. Tout le sens
de cet effort n’est-il pas de tenter de regagner un point de vue à partir
duquel nous pourrions remettre en cause la «normalisation» en cours de
l’inhumanité, tant au plan social qu’environnemental, et ainsi entrevoir un
autre rapport possible au territoire à traduire en projet de société?
[1] Respectivement, Le
territoire et nous, 15 mars 2012, 5 p. et Le territoire et nous 2. Des
visions divergentes du rapport au territoire, 21 février 2013, 10 p. (www.gtcq.blogspot.com).
L´
Île c´est comme Chartres,
c´est
haut et propre
Avec des nefs, avec des arcs, des corridors et des falaises.
Avec des nefs, avec des arcs, des corridors et des falaises.
Imaginons…
L´Île
d´Orléans,
un
dépotoir,
un
cimetière,
Parcs à vidanges, boîte à déchets, U. S. parkings.
On veut la mettre en mini-jupe and speak English.
Faire ça à elle, l´Île d´Orléans, notre fleur de lys…
Parcs à vidanges, boîte à déchets, U. S. parkings.
On veut la mettre en mini-jupe and speak English.
Faire ça à elle, l´Île d´Orléans, notre fleur de lys…
(Félix Leclerc, Le tour de
l’Île, 1975)
I. Impasse et racines du rapport actuel au territoire
Nous croyons que la vision prédominante actuelle du rapport
au territoire mène à une impasse. Cette conclusion s’est imposée à nous d’abord
à partir de la découverte du caractère
socialement et écologiquement non viable de cette vision[1].
Nous avons ensuite cru nécessaire d’explorer les racines idéologiques d’un tel
rapport pour comprendre le paradoxe de
la persistance de ce modèle malgré l’évidence de ses effets destructeurs.
1. La non viabilité sociale et écologique du rapport
actuel au territoire
Il ne nous paraît plus possible de dissocier le rapport à
l’environnement et les rapports sociaux au sein de ce que nous appelons le territoire. «Ce que nous faisons à la
nature, c’est à nous-mêmes que nous le faisons», affirme David Suzuki[2].
«Et vice versa», pourrions-nous ajouter. Les sciences modernes de la
nature confirment que le bien-être des humains dépend radicalement de celui de
toute la biosphère, cette communauté du vivant dans laquelle chaque population
trouve son ancrage à travers son territoire particulier. Or, l’analyse de
l’exploitation des ressources non-renouvelables au Québec nous a révélé un cas
hautement illustratif de la généralisation d’un rapport au territoire
manifestement suicidaire aux plans écologique et social. Pour comprendre ce qui
fait problème ici, nous suivrons la piste de l’économie, à sa jointure avec
l’écologie. Et plus particulièrement celle du capitalisme néolibéral auquel il
faudrait mettre fin, à commencer par sa façon de voir le territoire. «Là se
trouve l’essentiel», «le cœur du problème», selon
de grands écologistes eux-mêmes[3].
Une économie qui asphyxie le
territoire comme habitat naturel
La «science» économique est la seule discipline qui n’a pas
évolué depuis le XVIIIe siècle. S’en tenant encore à une vision mécaniciste du
monde à la Newton, elle n’a aucunement intégré les découvertes de sciences
comme la physique, la chimie ou la
biologie, par exemple[4].
Le capitalisme moderne a conçu une économie «désencastrée» de toute emprise des
liens sociaux et naturels pour se constituer en domaine autonome avec ses
règles propres, elles-mêmes en rupture avec celles des économies du passé
basées sur la réciprocité.
Cette supposée science se représente ainsi
l’économie comme un flux clos sur lui-même de production et de consommation de
biens et de services. Les coûts et les prix, par exemple, ne prennent pas en
compte la contribution de composantes naturelles et sociales du territoire dont
l’économie a pourtant besoin, ou encore les
dommages causés à l’environnement et à la
santé des humains. Ces données dites extérieures n’importent pas. Voilà
pourquoi des compagnies minières refusent
de payer pour des infrastructures fournies, de participer aux frais de
restauration des sites exploités, ou encore essaient de se soustraire aux
normes environnementales. Toujours selon cette «science», un déversement
pétrolier, un accident routier, l’écroulement d’un édifice ou encore des pertes
de vie créent de la richesse, car ils font augmenter le PNB par les dépenses
engendrées et le flux d’argent mis en circulation[5].
Aberrant!
Les
sciences de la nature ont pourtant démontré que toute activité économique reste
toujours interne à la biosphère. En
1965, l’économiste Kenneth Boulding, proposa de se représenter la terre comme
un vaisseau spatial où l’activité économique était limitée à ce qui était
disponible à bord, sans possibilité de rejeter des déchets ou résidus au dehors
de l’écosystème. Ceux-ci devaient donc être recyclés. Ce vaisseau n’est ouvert
vers l’extérieur que pour le flot d’énergie reçu de la lumière solaire et celui
de la radiation d’énergie qu’il retourne dans l’espace. Le premier est vital
pour la vie sur terre. Le second, issu en partie de ce qui a été stocké sur des
millions d’années à partir de la lumière solaire, sous forme de gaz naturel, de
pétrole et de charbon (nos seules réserves pour l’entretien de la vie[6]),
peut être fatal s’il surcharge notre atmosphère en affectant par exemple la
couche d’ozone[7].
Alors, bien qu’évoluant dans un environnement
très limité et fragile[8],
l’économie capitaliste se comporte comme si la nature n’était qu’un
sous-ensemble d’elle-même et comme si la terre nous appartenait de façon
absolue alors que la réalité est plutôt inverse, ou du moins à concevoir selon
des rapports d’interdépendance et de réciprocité[9].
Malgré donc ces limites, l’économie ultralibérale reste aveugle aux
points de rupture des interrelations vitales; elle ne carbure qu’à la cupidité et à la croissance illimitée comme unique solution
à tous les problèmes[10],
et cela, sans «valve» de sécurité! Ne serait-ce qu’au plan des changements
climatiques, le dernier rapport du GIEC (2014) a bien souligné leurs multiples
et néfastes impacts sur le territoire, attribuables surtout à une économie axée
sur une combustion accrue des énergies fossiles : dégel du pergélisol,
montée du niveau des mers, événements météorologiques dévastateurs
(inondations, sécheresses…), migrations, détérioration des ressources
alimentaires (agriculture, pêches…) et des eaux, etc.[11]
Une telle économie ne peut être
écologiquement viable. Voilà pourquoi, comme
le disait Walter Benjamin, la révolution pourrait bien consister,
aujourd’hui, à serrer le frein d’urgence[12].
Autrement dit, forcer l’économie à devenir compatible avec son monde.
Une économie qui exténue le territoire comme foyer
autonome de solidarité sociale
Mise à part cette ignorance du tableau d’ensemble écologique, ce
comportement aberrant remonte aussi à une autre source historique qui affecte
plus particulièrement et de façon
directe l’autre composante du territoire : les humains et les liens
sociaux. La mondialisation néolibérale a
réussi par de nouvelles voies à ressusciter une vision du monde datant des
«découvertes» et de l’époque coloniale. On s’imaginait alors ce «nouveau
monde» comme indifférencié et vide. Il apparaissait seulement comme un vaste
bassin de ressources à exploiter. Y rencontrait-on des populations, celles-ci
étaient soit éliminées («ces êtres avaient-ils une âme?»), soit refoulées dans
des «réserves», soit asservies, comme ressources elles aussi, aux
projets de colonisateurs à la fois assoiffés de
richesses («châteaux en Espagne») et imbus d’un sentiment de supériorité.
L’organisation locale existante du territoire était démantelée pour être
reconfigurée en fonction des intérêts étrangers. Ainsi les voies de transport qui furent installées en Afrique de
l’Ouest étaient toutes orientées vers
les ports côtiers en vue des exportations, et au détriment des circuits
intérieurs, garants de la sécurité alimentaire par exemple. Le mode
d’occupation et d’utilisation locale du territoire fut partout bouleversé pour
faire place aux droits de «propriété» des colonisateurs. Ces droits étaient
fondés, selon le philosophe et négrier John Locke, sur la seule capacité de
mettre le territoire en valeur, marchande évidemment. La légitimité des «claims»
actuels, qui compromettent d’autres formes de valorisation du territoire, tient
de là sa source.
De nos jours, le monde économiquement
globalisé apparaît aux investisseurs internationaux comme un vaste espace
planétaire uniformisé ou «dé-territorialisé»,
constitué soit de ressources naturelles et humaines à exploiter au plus bas
coût possible, soit de marchés à «conquérir». En somme, un espace néocolonial à
«re-territorialiser» à leur façon. Plus encore, avec la financiarisation de
l’économie, tout n’apparaît que comme des actifs financiers à faire fructifier par des rendements maximaux à
court terme. En dehors de ce rapport à l’argent, le reste, même l’économie
réelle, les biens, les personnes et les territoires impliqués, tout cela
devient abstrait et perd sa spécificité propre. Pour les actionnaires ou leurs
courtiers prenant des décisions à des milliers de kilomètres d’ici à propos des
investissements miniers au Québec, le sort du territoire ou des populations
concernées indiffère autant sinon plus que les Autochtones du temps de la
colonisation.
Ces investisseurs savent que les dirigeants
d’entreprises, soumis à leurs pressions de même qu’à celle de la concurrence,
ou encore partie prenante des mêmes intérêts, sauront à leur tour faire pression sur les États, sur les gouvernements
locaux et sur les populations pour en obtenir toutes les concessions
possibles : faibles redevances,
services, subventions, fiscalité de faveur, allègements d’obligations environnementales,
main-d’œuvre la moins coûteuse possible, et même des compensations financières
en cas de changement de politique ou de simple moratoire[13],
etc. Et tout cela en contrepartie d’indispensables emplois et revenus gouvernementaux, de même que d’une
éventuelle et temporaire survie des régions concernées.
Ainsi
contraints, les rapports sociaux ne peuvent donc plus être organisés sur une
base locale stable dans une économie de réciprocité où les secteurs seraient en
relation synergétique ou complémentaire entre eux, mais leur logique propre
éclate. Ces réalités locales sont
réorganisées dans une permanente dépendance d’intérêts extérieurs. Le
territoire est donc pris en otage pour être continûment «rançonné» comme prix
de sa survie. Il y a là une déperdition très grave, inséparablement sociale, politique
et environnementale. Les problèmes sociaux et de santé des «réserves»
autochtones nous renvoient comme en miroir les effets à long terme d’une telle
dépendance. La «conquête» de ces mêmes
Premières Nations et de leurs territoires par les investisseurs continue
d’ailleurs aujourd’hui. Et nous
connaissons à notre tour le même sort. L’économie du Far West prévaut toujours
sur celle du «vaisseau spatial». Aussi peut-on conclure que, tout comme pour l’environnement, ce type d’économie nous
conduit dans une impasse, qu’il est socialement non viable, et rend, à tous
égards, notre territoire de plus en plus difficile à «habiter».
2. Comment une telle vision du rapport au territoire
peut-elle continuer à s’imposer?
Comment se fait-il que le modèle de rapport au territoire que nous
venons d’évoquer réussisse paradoxalement non seulement à se perpétuer malgré
les ravages qu’il provoque, mais à passer pour le seul et meilleur possible, et
donc à paraître aller de soi? Par-delà les contraintes du système économique et
politique comme tel, durci en ordre établi, il faut aussi évoquer son emprise idéologique qui lui permet de
peser sur les libertés comme de l’intérieur, et ainsi de cadrer les débats.
Cette emprise s’appuie sur deux types d’assises fort méconnues : d’une
part, un ensemble inédit de conceptions de l’être humain, de la société, de
l’éthique et même de Dieu, datant du XVIIIe siècle, et source
d’arguments au besoin; et, d’autre part, un fonctionnement à la manière d’une
«religion» de type fondamentaliste et à caractère idolâtrique et sacrificiel,
ce qui ne peut que «passer sous le radar» dans les sociétés séculières.
La construction renversante des bases anthropologiques,
éthiques et même théologiques de la vision capitaliste
Résumons ici la première assise.
À l’aube de la modernité, divers penseurs européens vont faire coïncider
l’émergence du capitalisme avec le renversement de la consigne augustinienne
millénaire du décentrement de soi
vers l’amour de Dieu, comme fondement du monde, et vers l’amour du
prochain. On cherche alors à contrer les passions religieuses et politiques
qui ensanglantent et dévastent le Vieux continent. À ce problème du
vivre-ensemble, on proposera diverses solutions dont celle du contrat social
basé sur la convergence des volontés libres et responsables. Mais c’est une
autre proposition qui prévaudra. Au lieu de continuer de fonder l’éthique et la
société sur ce que l’être humain doit
être, ce qui s’est avéré un échec, ne fallait-il pas plutôt les fonder sur
ce qu’il est? Selon cet «état de
nature», l’humain est alors conçu comme un incorrigible individualiste, comme égoïste, cupide et envieux, sans inclination communautaire et même
agressif («un loup pour l’homme» selon Hobbes). Le remède consistera alors à
canaliser les passions socialement destructrices par une autre passion : l’amour de soi sous forme de l’intérêt économique comme fondement d’un possible arrangement du
monde.
Ainsi, comme les
individus sont prétendument des êtres asociaux, ils ne peuvent être mis en
société que par un mécanisme extérieur, supposé pré-ordonné et apte à faire
converger automatiquement – comme par une «main invisible» – les intérêts de
chacun dictés d’abord par l’«amour propre»[14]. De cette façon, il en résulterait plus de
richesses et donc moins de rareté, moins de violence issue de celle-ci, et
ainsi un bien-être général. «Peace
through trade», dira plus tard Roosevelt. On aura reconnu ici le mécanisme
du marché et ses lois liées à la compétition. La société ne devient ainsi
possible que comme marché[15],
et l’égoïsme est consacré comme la forme la plus haute de l’altruisme! Les
conduites asociales des acteurs économiques se voient justifiées a priori car
jugées automatiquement bienfaisantes pour l’humanité.
Cette «trouvaille»
prend aussi une couleur théologique.
Adam Smith assimile explicitement la «Main invisible» du marché à la divine
Providence qui, au Moyen Âge, avait su
produire un ordre (féodal) optimal à partir des différences et des inégalités
sociales. Plus largement, le
« laisser-faire » économique sera compris comme un laisser se
réaliser le plan divin caché selon une religion maintenant immanente
et naturelle et non plus transcendante[16], un plan par lequel Dieu peut faire procéder
le bien du mal produit par les humains. Voilà le socle anthropologique, dispensé de toute éthique et doté d’un
alibi théologique, sur lequel s’édifiera le capitalisme.
L’économie néolibérale comme «religion»
Mais il y a autre
chose encore. En se réclamant historiquement de la conception singulière du
Dieu des chrétiens et de son projet présentée ici, le système capitaliste
émergent s’est vu attribuer une aura sacrée, et de même pour ses lois, ses
mécanismes et ses pratiques. Là réside
une deuxième assise de l’autojustification du capitalisme néolibéral : son profil et son fonctionnement à la façon
d’une «religion». Voyons de plus près.
La sacralisation du marché et
de la compétition sans frein se réalise aujourd’hui selon trois procédés. On
hisse d’abord cette façon particulière de faire l’économie au statut d’état de
nature de celle-ci. Naturalisation donc
du capitalisme. Par ailleurs, a-t-on remarqué le phénomène idéologique de personnalisation des entreprises
auxquelles on prête des «droits» et des actions propres aux personnes :
elles «reluquent» des actifs concurrents et «avalent» d’autres entreprises;
elles se battent, conquièrent des marchés, etc. De même, la publicité associe
des produits à des personnages connus ou vedettes, à des désirs, au bonheur,
etc. Enfin, dernier degré, on surnaturalise
le marché dit «autorégulateur», davantage capable de guider les sociétés
que les desseins et interventions des humains, et donc omniscient. Le système capitaliste lui-même est d’ailleurs
présenté comme la «fin de l’histoire», ou la forme ultime et indépassable de
l’économie. Aussi, peut-on comprendre
que le marché et ses lois apparaissent comme tout-puissants,
invincibles, et comme une sorte de fatalité à laquelle il vaudrait mieux se
soumettre. Paradoxal pour un système dit «libre»!
On peut penser que le
mantra actuel de la plupart des gouvernements devant les exigences du
néolibéralisme – le fameux «on n’a pas le
choix» – doit quelque chose à une telle sacralisation à laquelle même les
entreprises les plus consciencieuses ne semblent pouvoir échapper. Cette absolutisation du marché, de ses visées
et de ses règles entraîne inévitablement une relativisation ou le sacrifice de tout le
reste. C’est à ce pôle perdant d’un tel rapport que sont promis les bas
salariés et leurs conditions de travail, les politiques sociales,
l’environnement, la démocratie, la souveraineté ou autres, qui doivent être
«flexibilisés» sans fin pour permettre une plus grande compétitivité. Et au
dernier rang des «sacrifiés», on retrouve les personnes et les groupes, tels
les Autochtones, qui sont considérés comme «inutiles» au processus de
valorisation du Capital, et qu’on peut
en conséquence ignorer.
Cette dynamique insolente, insensible et irresponsable ne peut être plus
clairement exprimée que dans la définition de la mondialisation donnée par M. Percy Barnevick, président du groupe
industriel helvético-suédois ABB : «[…] c’est la liberté pour mon groupe d’investir où il veut, le temps qu’il
veut, pour produire ce qu’il veut, en s’approvisionnant et en vendant où il
veut, et en ayant à supporter le moins de contraintes possibles en matière de
droit du travail et de conventions sociales [17]».
Que penser d’une telle liberté qui enchaîne? Que peut-il alors rester de
l’intégrité et de la viabilité de tout territoire soumis à une telle vision? Le
crime est parfait, car il coïncide
exactement avec la légalité ou les
règles qui ont réussi à s’imposer, dont celle du laisser faire absolu! Parvenu
à ce point d’enfermement dans son strict et unique point de vue, pouvons-nous
vraiment espérer que le système se «convertisse» de lui-même? Nos luttes à la fois politiques et
idéologiques pour un autre rapport au territoire prennent ici tout leur sens et
toute leur nécessité.
La fausse
sacralisation de la vision décrite ici, avec son corollaire obligé de sacrifices humains et écologiques ne fait-il pas du capitalisme néolibéral une «religion» perverse dans la mesure
même où celui-ci se fait inflexible même devant la vie menacée? Une vision si
insidieuse, avec son discours ou «théologie» à l’avenant, provoque directement
notre foi et sa capacité de se donner une
théologie qui barre la route à toute légitimation d’une telle manière non
viable d’aménager le territoire. Une foi et une théologie qui seraient capables
aussi d’une autre vision du
monde et du rapport au territoire en particulier. Ce sont de tels
défis qui feront l’objet des deux prochaines sections.
Ce
n'est pas seulement l'homme qu'il faut libérer, c'est toute la terre.
[...]
La
maîtrise de la terre et des forces de la terre, c'est un rêve bourgeois
chez
les tenants des sociétés nouvelles. […]
Ce
champ n'est à personne. Je ne veux pas de ce champ;
je
veux vivre avec ce champ et que ce champ vive avec moi,
qu'il
jouisse sous le vent et le soleil et la pluie,
et
que nous soyons en accord.
(Jean Giono, Le Voyage en Italie,
Gallimard, 1953)
II. Visions alternatives du territoire
Étant donné les impasses dans lesquelles nous enferme la présente
logique de domestication destructrice de la nature et du territoire, il devient
urgent de recourir à une vision différente pour inspirer des politiques et des pratiques plus
responsables. Des visions alternatives
et des initiatives prophétiques disputent déjà le
terrain à la perspective dominante présentée plus haut. Elles constituent, d’un
point de vue théologique, un «signe des temps» où agit et nous interpelle
l’Esprit du Ressuscité. Voici donc un aperçu de ces nouveaux regards touchant
notre rapport à la nature en général puis au territoire comme tel.
1. Vers une vision différente du rapport à la nature …
Selon la vision traditionnelle des nations autochtones, les humains
vivent dans un rapport de communion, d’interdépendance et de protection avec la
nature nourricière, appelée «Terre Mère» ou «Pacha Mama », considérée
comme symbole de la maternité divine. La vision de ces cultures traditionnelles
met l’accent sur notre gratitude à l’égard de la nature, source de vie pour les
humains, et sur notre devoir de la traiter avec respect dans l’harmonie d’un «Buen
vivir». Elle implique un lien d’appartenance et d’intégration à la nature,
à l’opposé d’un rapport purement extérieur qui ferait de celle-ci un objet
séparé de nous, simple bassin de ressources utilisables à notre guise ou décor
dans lequel se déroulent nos existences.
Cette
vision parfois dite primitive converge avec les données de la science moderne.
L’évolution des espèces, l’astrophysique ou la physique quantique tiennent un
discours semblable sur le profond ancrage de l’humain dans ses origines
cosmiques, animales et micro-cellulaires. L’affirmation de l’«exception
humaine» dans l’ensemble de l’univers se trouve ainsi questionnée.
La vision de la nature comme intrinsèquement
reliée à l’humain laisse entendre une communauté
de destin entre l’une et l’autre. Comme l’affirme David Suzuki, cité plus
haut, la violence que les humains font subir à la nature finit par les
atteindre eux-mêmes. Il n’y a qu’à penser par exemple au réchauffement
climatique ou à l’impact catastrophique de la décimation de la population mondiale des abeilles sur la pollinisation
des espèces végétales.
C’est une intuition semblable qui inspire
depuis quelques décennies les milieux préoccupés par les défis écologiques. On
peut penser à l’éco-féminisme, à la défense des droits des animaux, à
l’économie verte, au développement durable, ou à l’hypothèse Gaia. Dans tous
ces cas, on cherche à redéfinir la relation de l’humain à l’univers dans le
sens d’une intégration ou d’une interdépendance plutôt que d’un rapport
sujet-objet.
[18].
Tout en maintenant la responsabilité spécifique de l’humain comme gardien de la
création, on met davantage en lumière, dans l’exégèse biblique et la théologie
récentes, l’affirmation que toutes les créatures ont leur origine dans un même
amour créateur comme fondement de la solidarité entre toutes les composantes de
l’univers. La nature et le genre humain participent d’une même histoire cosmique, de la même évolution
biologique. Partie prenante de la nature, le genre humain est convié à la
traiter avec le même soin et le même amour que Dieu lui porte.
Dans une perspective semblable, la pensée
chrétienne a entrepris une réinterprétation des rapports entre les humains et
l’ensemble de la création, notamment à travers une relecture du récit de la
Genèse qui a servi longtemps à légitimer la domination de l’humain sur le reste
de l’univers : « remplissez la terre et dominez-là »
2. … et une autre
vision de notre rapport au territoire
Ce qui est vrai de notre rapport à la nature universelle se vérifie
également dans notre manière de nous situer en lien avec un territoire spécifique. « J’ai pour matrie la terre, et Kébek est
mon point d’attache à la matrie terrestre»[19]. L’interdépendance entre nous et l’univers
devrait donc entraîner des conséquences pratiques dans notre façon de voir et
d’habiter un territoire particulier. Voyons quelques exemples de cette
dynamique de réciprocité, telle qu’elle peut s’exercer dans la perspective de
deux visions alternatives du rapport au territoire.
Territoire et identité
Il y a d’abord la conception du territoire comme « lieu de l’homme », selon la belle expression de Fernand Dumont.
L’espace naturel est physique, le territoire est espace humanisé. À la
différence de la nature comme telle, qui est donnée, le territoire habité est en grande partie construit. Celui-ci conserve la trace des générations qui se sont
succédé dans cette œuvre d’aménagement, il incarne dans la nature l’histoire
collective, la culture et les valeurs des humains qui y ont bâti maison.
Il est tout aussi vrai que les groupes
humains sont eux-mêmes façonnés par l’environnement dans lequel ils évoluent.
Les habitants de Charlevoix ou du Bas-du-Fleuve ont des traits culturels
différents, tout comme ceux d’Outremont ou de la Petite Patrie à Montréal. «Le
pays, c’est viscéral ! C’est toutes ces petites choses qui s’imprègnent en toi,
le petit patelin qui t’a vu t’épanouir végétativement, dans ta prime jeunesse.
C’est une signature indélébile! »[20].
Il existe un lien indissociable du territoire avec les humains qui le
partagent, si bien que le sentiment d’appartenance à un peuple est largement
conditionné par la connexion vitale qu’on établit avec le territoire : son
climat, sa géographie, son histoire, ses lieux symboliques.<
Si tel est le cas, porter atteinte au
territoire en le saccageant ou en le dépouillant de ses traits distinctifs
compromet du même coup l’identité d’un peuple. Pensons à ce qui nous arriverait
comme communauté culturelle distincte si la vallée du Saint-Laurent se couvrait
de puits de forage gaziers ou si
l’architecture de nos villes et villages perdait toute personnalité.
Pourrions-nous encore nous reconnaître dans des enfilades de centres d’achat,
de murs de béton ou de façades sans âme ? Que
resterait-il de nous, pour reprendre le titre d’un beau film sur la
déculturation au Tibet ?
À l’inverse, n’y aurait-il pas une connexion
entre l’effacement de notre mémoire historique et une certaine désaffection par
rapport au territoire comme milieu vital dont nous faisons partie.? Faute d’enracinement profond dans notre histoire
comme terreau culturel et spirituel, comment pourrions-nous entretenir un lien
vital avec notre territoire ? Celui-ci demeurerait en effet indéchiffrable et
anonyme sans une attention à l’empreinte des générations qui en ont fait pour
nous un espace humain aux couleurs et à la saveur uniques.
Ces questions sont rendues fort complexes en
ces temps de mondialisation, de déplacements de populations, de mobilité des
personnes, de cyberespace et de mentalité technoscientifique. Les populations
nationales sont de plus en plus métissées, cosmopolites. Les gens qui vivent
sur un même territoire ont en même temps de multiples contacts avec l’ailleurs.
Ils ne partagent collectivement ni les mêmes références religieuses ou
philosophiques, ni les mêmes origines culturelles. Dans ces conditions, la
tâche de construire un imaginaire social et une
identité spécifiques sur un territoire
donné constitue un défi politique considérable[21].
Territoire et altérité
Mère patrie pour celles et ceux qui y sont nés, terre d’accueil pour les autres qui sont venus d’ailleurs, le
territoire se découpe au fil du temps en régions qui forment autant de «pays»[22]
aux couleurs différentes. Dans cette configuration d’identités variées, le territoire demeure le liant global[23]
des multiples groupes, communautés ou nations qui y vivent, en
dépendent, et partagent la responsabilité de continuer à le construire et à
l’imprégner de leur imaginaire. En ce sens, il est médiateur de la relation à
l’autre, relation appelée à
s’épanouir dans un vivre ensemble à travers le partage de la responsabilité
commune qui nous lie tous et toutes à un même territoire comme parcelle de la
«maison» planétaire.
Cette relation peut devenir conflictuelle,
par exemple lorsque le territoire se fragmente en entités culturelles et
politiques dont les droits respectifs sont difficiles à concilier, comme entre
les Premières Nations du Canada et les occupants colonisateurs. Ou si elle se
définit trop étroitement en fonction de frontières géopolitiques au lieu de
s’ouvrir à une solidarité transfrontalière. Ou encore par l’effet d’une posture
de propriétaire jaloux de son bien. La pratique des claims miniers en donne un exemple flagrant. En cédant aux
compagnies minières un droit de propriété absolu sur le sous-sol qu’elles ont
«réclamé» pour des sommes ridicules, cette pratique légale entre directement en
conflit avec la maîtrise responsable de communautés, municipalités ou Nations
qui occupent la surface de ce sous-sol. On peut aussi
penser à l’effet que peuvent avoir le
déboisement ou la construction de barrages hydro-électriques sur le mode de vie
des Premières Nations. Jugés indispensables à
l’ambition ou même au simple bien-être économique des uns, de tels
projets sèment souvent la mort pour les autres. En définitive, ils
compromettent le vivre ensemble lorsqu’ils sont réalisés sans partenariat
authentique entre les parties concernées.
En fin de compte, notre rapport à la nature
et au territoire souffre actuellement de la même crise que notre lien social et
son enracinement historique : nous sommes en carence de mémoire,
d’appartenance et de convivialité, que ce soit dans nos relations entre nous ou
avec notre milieu de vie. Il devient urgent de nous réconcilier avec nos
origines biophysiques, culturelles et spirituelles, en même temps que
d’imprégner davantage nos relations
sociales de compassion, de fraternité et de solidarité concrète.
3. L’émergence de pratiques alternatives
Malgré une dissociation néfaste entre les
humains et la nature, celle-ci s’impose comme par la porte d’en arrière. L’urgence
de développer des pratiques écologiques pour l’avenir de la vie sur terre remet
radicalement en question nos façons de faire et de vivre. Dans sa grande
diversité et malgré les conflits qui la déchirent, la mosaïque politique et
culturelle des territoires nationaux fait désormais face à un défi
commun : demeurer un lieu habitable pour les humains devant la menace
d’une destruction massive.
Pour ne pas sombrer dans une anxiété stérile,
on peut tout de même rappeler des exemples encourageants, si limités
soient-ils, d’un rapport de solidarité responsable avec ces territoires
québécois qui sont notre milieu de vie.
Pensons aux efforts pour promouvoir des
sources alternatives d’énergie, aux mesures pour protéger la biodiversité dans
des aires naturelles, à la valorisation des paysages typiques de chaque région,
à la défense de la qualité de vie contre l’intrusion brutale de projets miniers
ou de grands axes routiers, à la volonté de mieux gérer la multiplication des
champs d’éoliennes, comme en Gaspésie ou sur la Côte Nord. Pensons aussi aux
nombreux mouvements de résistance qui ont fait front commun contre le projet de
pipeline d’Enbridge, le déboisement de la
forêt boréale, le Plan Nord à la manière Charest, le harnachement des grandes
rivières sauvages comme la Romaine, ou encore contre
l’abandon des sites miniers par les compagnies extractives. En milieu urbain,
des quartiers font l’objet de projets de restauration pour en conserver la
qualité culturelle et assurer qu’ils puissent demeurer des lieux de vie sains
et conviviaux. Le quartier St-Roch à Québec ou le Plateau Mont-Royal à Montréal
en sont des exemples bien connus, malgré tous les effets pervers cependant
causés par la gentrification. Il y aussi l’engouement pour les jardins
communautaires, l’aménagement paysager, l’agriculture écologique, les centres
de nature, l’écotourisme, etc.
Il existe une convergence évidente entre ces
luttes et ces initiatives, de par leur visée
commune aussi bien qu’à travers leur dénonciation du capitalisme néolibéral. On
gagnerait à affermir cette convergence par tous les moyens, notamment celui des
nouveaux médias sociaux, afin de transformer ces courants de vie en un
mouvement de plus en plus irrésistible. C’est sans
doute une condition nécessaire pour la consolidation et l’expansion de
pratiques porteuses d’un meilleur avenir.
Il
rendra justice aux plus faibles,
Il
tranchera dans l’équité pour les courbés de la terre.
Le
loup habitera avec l’agneau,
le
léopard et le chevreau dans la même tanière.
Plus
de méfaits, plus de ravages dans toute ma montagne sainte –
la
connaissance du Seigneur remplira la terre,
comme
la mer est comblée par les eaux.
(Isaïe 11, 1-9)
III. Refaire alliance
Dans la première partie de la présente réflexion, nous avons porté
attention au phénomène de « dé-liaison
», de dissociation et même de conflit entre
l’humain et la nature, traitée comme un objet extérieur ou un simple
environnement utilisable et exploitable à volonté. Il nous a semblé que cette
dissociation n’était
pas étrangère à la rupture du lien social : en oubliant notre
interdépendance avec cet univers dont nous faisons partie, et plus
particulièrement avec le territoire où nous plongeons nos racines,
n’aurions-nous pas perdu quelque chose de ce qui nous est commun et nécessaire pour
vivre ensemble ?
Cela commence par un choix de vision. C’est pourquoi nous en avons fait
l’angle privilégié prédominant, nous avons voulu repérer les visions alternatives en
émergence, notamment la prise de conscience d’une communauté de destin entre le
territoire et nous : la manière dont nous le traitons rejaillit sur ce qui
nous arrive en tant qu’humains, sur le plan de notre identité collective comme
de notre rapport à l’autre.
Cette analyse nous a permis
d’identifier la dissociation des humains entre eux et avec leur territoire
comme une racine majeure des impasses écologiques et sociales où nous nous
trouvons. C’est pourquoi il nous apparaît que le thème fondamental de
l’Alliance peut apporter un éclairage théologique précieux. Toute l’histoire de la révélation
judéo-chrétienne est marquée par un projet de recomposition des liens de
réciprocité entre Dieu, les humains et la création. Nous allons aborder
cet élément de notre tradition du point de vue de l’expérience historique
d’Israël, en nous arrêtant à l’approfondissement que Jésus y a apporté :
avec lui, l’établissement d’une « nouvelle Alliance », en continuité avec
l’ancienne mais recentrée sur une solidarité privilégiée avec les plus
vulnérables, ouvrait la possibilité d’une inclusion de tous les humains dans un
monde transformé qu’il appelait le Royaume.
1. Une Alliance toujours à refaire
Le visage de Dieu révélé dans la tradition biblique est étonnant. Déjà
les récits de la création le présentent comme plein de tendresse envers les
humains et l’ensemble de l’univers,
lequel est vu comme l’expression de sa Parole. La création tient ensemble
par le lien du Verbe, de cette Parole que la tradition chrétienne identifie au
Christ. On se trouve ainsi dès l’origine dans un climat de connivence et de
conversation entre le Créateur et l’humanité, à qui la terre est confiée comme
le don gratuit d’un jardin à cultiver. Le rapport à Dieu et entre les humains
apparaît indissociable de l’harmonie créée entre toutes les créatures
auxquelles Adam est chargé de donner un nom et devant lesquelles Dieu lui-même
s’émerveille : « Il vit que cela était bon ».
Cette histoire de fidélité et d’infidélité
à une Alliance s’inscrit d’abord dans le cadre juridique d’un pacte entraînant
des droits et des devoirs réciproques. Il ne s’agit pas ici d’une alliance
entre égaux : c’est Dieu qui l’accorde librement et qui en dicte les
conditions. Progressivement, l’Alliance passera à un projet de communion, à une
relation d’amour entre Israël et son Dieu, faisant appel à la fidélité comme
entre un pasteur et son troupeau, un vigneron et sa vigne, un père et son fils,
un époux et son épouse. Après les épreuves nationales qui résulteront des
trahisons répétées d’Israël (ruine de Jérusalem, exil, dispersion), Yahvé
maintiendra sa promesse et élargira même son alliance à la création entière, en
y incluant « les bêtes des champs, les oiseaux du ciel et les reptiles du sol[25]».
Les cœurs seront changés[26].
Une Alliance nouvelle, à la fois intérieure et universelle, fera suite à
l’ancienne, par la médiation du Serviteur de Yahvé[27]
auquel Jésus s’identifiera à la veille de sa Passion[28].
Que tirer de cette rapide évocation ?
D’abord que le don s’accompagne toujours d’une responsabilité. L’accueil réel
du don se vérifie par l’empressement à le faire fructifier. En ce qui concerne
plus précisément le don du territoire, il entraîne des exigences de justice et
de solidarité, vues comme un refus des
idoles et une manifestation d’adoration en vérité de ce Dieu libérateur des
victimes.
Ensuite, il apparaît clairement que le
territoire n’est pas à
considérer comme un objet de propriété. Il n’appartient à personne ni à aucun peuple enparticulier ;
c’est nous qui lui «appartenons» comme les éléments constitutifs d’un tout
organique. Il est donc inclusif par nature. Les humains reçoivent comme un don
absolument gratuit leur accès à cette nature dont fait partie tout territoire
particulier. Cette donation originelle les place tous à égalité devant la
responsabilité partagée de protéger et de faire porter fruit à ce don, au
service de la vie et du bien-être de tous et de toutes, dès maintenant et pour
les générations futures[29].
La terre est donnée en vue d’un égal accès à ses richesses, avec un
souci particulier des plus vulnérables. Les
prophètes ordonnent ainsi de retourner aux plus pauvres les champs et les
propriétés accumulées abusivement[30]. «À chaque période de sept ans, tu feras
remise pour qu’il n’y ait pas de pauvres au milieu de toi »[31].
Le respect de ce pacte sacré
entre partenaires qui tiennent parole est au fondement de l’harmonie entre les
humains, entre eux et la nature, comme entre
une société donnée et le territoire auquel elle est liée.
2. L’incarnation comme accomplissement de l’Alliance
L’inclusion de tout l’univers créé dans le projet d’Alliance
universelle est confirmée dans la pratique, la prédication et le destin de
Jésus. En premier lieu, son appartenance au territoire de la Galilée, avec son
caractère propre, son histoire et sa culture, lui a appris la grandeur et la
misère de la condition humaine et a nourri son imaginaire et sa familiarité avec
les éléments de l’univers. Jésus
manifeste une grande sensibilité pour son
peuple et pour sa terre. Ses paraboles invitent à lire la Parole de Dieu
dans la semence, le sol, les arbres, les oiseaux du ciel, le vent et toute la
nature. Il nous invite à voir la présence de Dieu dans le pain et le vin
partagés, « fruits de la terre et du travail humain », signes de la vie donnée.
Il se fait solidaire des appauvris dans de ce
coin perdu de l’Empire romain, à l’encontre de l’élite judéenne et des
autorités du Temple qui les méprisent.
Jésus résiste cependant à une vision
fermée du rapport à la terre et des prérogatives nationales. Ce sera l’une des
raisons de la méfiance que lui opposeront les zélotes, par exemple, voués à la
libération politique d’Israël, ou les grands prêtres, riches propriétaires
terriens prompts à déposséder les paysans modestes par des impôts excessifs. Après avoir vu dans un
premier temps sa mission comme étant surtout adressée aux gens de son peuple,
Jésus s’est ouvert progressivement à la présence de l’Esprit à l’extérieur
d’Israël, comme chez des Samaritains, des Syro-Phéniciens ou des occupants
romains. Il a dès lors annoncé la venue d’un «Royaume» offert à tous et toutes,
sans considération de statut social, de race, de frontière ou de religion,
comme modèle et symbole d’une nouvelle manière de faire société.
Jésus retient de l’expérience d’Israël
les exigences d’un nouveau rapport à la terre, mais en radicalisant les termes
de l’Alliance. Pour lui, le territoire est pour son peuple la médiation du Règne
de Dieu et le lieu concret de son accueil. Même si la
terre promise pointe vers une réalité jamais pleinement atteinte, s’en
approcher et y entrer est lié à l’accueil de sa mission prophétique au sein du
peuple : libérer les prisonniers, ouvrir les yeux des aveugles et faire
marcher les estropiés. Car porter atteinte à
la dignité des plus humbles, leur faire violence ou les ignorer, constitue une
rupture de l’Alliance, tandis que le service concret des oubliés, à commencer
par leurs besoins élémentaires, permet déjà d’entrer dans la famille des bénis
de son Père[1].
Aimer comme il nous a aimés, voilà comment Jésus nous invite à refaire Alliance,
et ainsi à tenir parole en réponse à la
fidélité de Dieu. Il « revisite » ainsi l’antique expérience de l’Alliance,
tout en lui gardant sa signification la plus profonde. Il ne s’agit plus
simplement de préserver un lien de confiance privilégié par l’observance de
prescriptions précises, mais de répondre à l’amour d’un Père, ardent jusqu’à
l’extrême, qui se révélera dans l’abaissement de son Serviteur jusqu’à son
exécution sur une croix, puis dans sa résurrection. La fidélité de Dieu envers
Israël trouvera ainsi son ultime révélation et réalisation.
L’implication de Yahvé avec un peuple dans
son histoire particulière avait déjà quelque chose de radicalement neuf comme
expérience religieuse de l’humanité. En Jésus, cette nouveauté atteint à la
limite du scandale pour les esprits du temps et jusqu’à maintenant : ce
Dieu se montre désireux de faire participer les humains à sa propre vie en
prenant chair parmi eux dans un Nazaréen de l’obscure Galilée, ami des pauvres
et des exclus, et finalement rejeté et
crucifié comme un traître. Cet homme qui voulait ainsi manifester à quel point
son Père tenait à se lier à nous se trouvait
associé à une infidélité, comme s’il avait désavoué la longue tradition de
l’Alliance entre Dieu et son peuple. La véracité du témoignage de Jésus
trouvera pourtant sa confirmation dans la résurrection, ce qui relancera l’espérance
de ceux et celles qui avaient osé croire en lui.
3. Une Alliance porteuse d’espérance
En Jésus crucifié et ressuscité, Dieu
manifeste pleinement son vrai visage comme allié des victimes de la violence et
de l’injustice. En son Fils qui donne librement sa vie par fidélité à sa
mission, l’humanité arrive à répondre à cet excès de l’amour divin, elle tient
enfin parole elle aussi. Cet acte fondateur de Jésus produira rapidement du
fruit parmi ses premiers disciples, notamment dans une nouvelle manière de
faire communauté : partage des biens en solidarité avec les plus pauvres,
accueil de l’étranger, bannissement de l’esclavage, non violence, résistance à
l’Empire jusqu’au martyre… Par la suite,
malgré de fréquents et parfois scandaleux reculs historiques, la semence
continuera de porter du fruit dans le témoignage de ceux et celles qui
accueilleront la parole de Jésus et la mettront en pratique.
Ce
Jésus est identifié par le Nouveau Testament au Verbe en qui Dieu a créé le
monde. Sa résurrection a une fécondité universelle, à la fois pour l’humanité
et pour la création. Elle accomplit la promesse d’une nouvelle alliance qui
change le cœur des humains et leur donne l’Esprit de Dieu[2],
qui atteint toutes les nations en brisant les murs de la division, en
établissant la paix entre «ceux qui étaient loin et ceux qui étaient proches»[3],
et en réconciliant tout « sur la terre et dans les cieux »[4].
Comme l’humanité, la création est appelée à la réconciliation, au salut, à la
rédemption[5].
Le même Esprit qui a animé Jésus et l’a fait Seigneur et Christ est présent
dans la création, comme ferment de rassemblement des humains dispersés et
d’achèvement d’une nature malmenée.
Nous sommes accompagnés par cet Esprit
«qui planait sur les eaux» au début du monde et qui continue de «renouveler la
face de la terre». Grâce à cette espérance, l’utopie de raviver le lien social
entre nous tout comme notre communion à la
nature ne se confine pas à un rêve chimérique. Elle constitue un objectif
sociopolitique atteignable. Dans la foi, cette confiance s’appuie sur la
présence agissante du Verbe dans l’ensemble de la création : présence
christique marquée par le désir d’une réconciliation universelle.
À
travers des initiatives de toutes sortes, une prise de conscience se répand effectivement,
une nécessaire transformation culturelle commence à s’opérer, de nouvelles
valeurs sociales prennent racine. Des
solidarités se tissent, du lien social se forme en même temps qu’une
réconciliation avec les sources mêmes de la vie sur terre. À cause de cette
histoire de Parole tenue et d’Alliance maintenue à travers les méandres de
l’histoire, des premiers patriarches à Jésus de Nazareth, nous pouvons espérer
que le monde tienne en Celui qui le soutient. Qu’on se rappelle les discussions
entre Dieu et Abraham à propos du nombre de «justes» suffisant pour que la
terre ne soit pas détruite. Il faut que quelques-uns, quelque part, témoignent
de cette espérance.
Il est possible et nécessaire de voir et
de faire autrement, à l’inverse de pratiques idolâtriques comme le culte du
profit, du pouvoir et de la démesure, destructeur du lien social et de notre
rapport au territoire. La perspective d’une Alliance toujours à refaire à la
fois entre nous, avec la création et avec
Celui qui la confie à notre responsabilité, ouvre l’avenir au lieu de le
bloquer dans la récurrence des mêmes ravages.
4. Quelques pistes d’orientation
En quoi cette spiritualité biblique de
l’Alliance peut-elle orienter notre rapport à la nature et au territoire ? Une prochaine réflexion portera sur cette question, mais on peut déjà
évoquer différentes pistes possibles.
-
Notre
rapport au territoire et aux humains qui s’y rassemblent devrait éviter toute
posture d’exclusion, de repli défensif ou d’appropriation arrogante, et
conduire à la reconnaissance effective du droit des pauvres à la terre[6].
Écologie et solidarité sociale vont de pair, comme en témoignent les mouvements
contemporains de l’éco-justice, de l’éco-socialisme et de l’éco-féminisme. Dans
cette perspective, la conception du territoire comme occasion de simple
enrichissement et de croissance économique illimitée demande à être critiquée.
Nos débats sur une utilisation optimale des ressources naturelles gagneraient à
intégrer plus clairement le principe de la destination universelle des biens et
de la solidarité avec les plus vulnérables.
-
Comme expression de fidélité au Dieu de
l’Alliance, qui inclut la création dans son projet de réconciliation
universelle, un tel engagement procède d’abord d’un respect et d’un amour
profond de la nature. « Toute personne de bon sens perçoit que, si importantes
que soient les solutions techniques et scientifiques, si nous ne créons pas une
culture d’amour dans la relation de l’être humain avec la terre, l’eau et tous
les êtres vivants, nous ne réussirons pas à surmonter la crise écologique grave
qui atteint de nos jours la planète Terre »[7].
Apprendre à voir la terre comme l’espace ou Dieu se
manifeste, à discerner l’agir de l’Esprit et à
entendre la Parole dans la création, peut nourrir ce respect et
cet amour.
-
Par-delà
la protection de la nappe phréatique ou des paysages patrimoniaux, par exemple,
ne serait-ce pas l’avenir de l’humain comme tel que nous sentons menacé par le
mépris ou la violence envers le territoire ? Si cela nous fait si mal, n’y
aurait-il pas là un indice que c’est notre intégrité humaine qui est en cause ?
En se dissociant de la nature, les humains de la modernité technoscientifique
risquent de perdre contact avec eux-mêmes en s’aliénant des sources de la vie.
Dans une perspective humaniste ou spirituelle, renouer intérieurement avec la
nature et le territoire peut aider à
revenir au lieu originaire de l’être, celui de la source créatrice
présente dans l’univers ou celui d’une filiation divine d’abord révélée en
Jésus. Il y a là une illustration contemporaine d’un besoin de salut commun à
la création et à l’humanité. Cette conscience d’un même enracinement à l’origine
de tout ce qui vit peut constituer un chemin pour refaire alliance avec
l’autre, quelles que soient les différences qui peuvent parfois nous étonner ou
nous indisposer, dans la conscience de notre commune humanité. On peut voir là un acte de fidélité à l’Alliance où se
joignent les dimensions éthique, politique et cosmique d’une réconciliation
universelle.
La théologienne américaine Ilia Delio
résume magnifiquement cette perspective dans le passage suivant : « Une vie saine pour un cosmos sain exige la
réceptivité, l’ouverture, et un amour de compassion qui traverse les frontières
des différences et qui accepte l’autre comme une partie de soi, puisqu’ensemble
nous sommes un dans le corps cosmique du Christ ».
Par quels chemins… ?
[1] Matthieu 25.
[2] Romains 5,5; 8, 4-16.
[3] Éphésiens 2, 11-17.
[4] Colossiens 1, 20.
[5] Romains 8, 18-21.
[6] Michée 2, 15; Isaïe 5, 8-10; Matthieu 5,4.
[7] Marcelo
Barros.
Le Groupe de
théologie contextuelle québécoise
Michel Beaudin, Céline Beaulieu,
Ariane Collin, Guy Côté,
Claire Doran, Lise Lebrun et Richard Renshaw
Juin 2014
______________
Ce document fait
suite à deux premiers textes disponibles sur notre blogue : www.gtcq.blogspot.com
Pour nous contacter,
communiquez avec Lise Lebrun à : lebrun_lise@videotron.ca
[1] C’est à cet aspect précis du rapport dominant au territoire et de
sa vision que nous nous attarderons d’abord
ici. Pour une description plus élaborée de la logique de ce rapport et
de son mode opératoire, voir la section 3 («La logique du territoire comme
ressource», p. 5-7) de notre texte nº 2 mentionné plus haut.
[2] « Notre
avenir : notre choix », message de David Suzuki envoyé par courriel
le 5 décembre 2013 à l’occasion d’une campagne de financement de sa fondation.
[3] Voir, par exemple, Aurélien Bernier et Michel Marchand, Ne soyons pas des écologistes benêts. Pour un protectionnisme écologique et social, Paris, Éditions Mille et une nuits, 2010, p.
10; ou encore : Peter G. Brown et Geoffrey Garver, Right Relationship. Building a Whole Earth Economy, San Francisco, Berrett-Koehler
Publishers, 2009, p. vii.
[4] René Passet, «De l’Univers magique au tourbillon créateur», Le Monde diplomatique, octobre 2010, p.
27.
[5] Peter G. Brown et Geoffrey Garver, Op. cit., p. 1-17.
[6] «En moins de 300 ans, nous avons consommé 300 millions d’années
d’énergie solaire accumulée dans les stocks de combustibles fossiles» (Feuillet
de présentation de la Conférence internationale sur la décroissance dans les
Amériques, Montréal, 14-20 mai 2012).
[7] Ibid.
[8] La vie n’est possible que dans et sur une mince partie de la
croute terrestre et son espace aérien immédiat.
[9] Ibid.
[10] Y compris celui de la pauvreté et de l’exclusion ou, dans les
termes de l’image employée ci-dessus, le problème d’un vaisseau spatial à deux
étages.
[11] A. Shields, «Climat : catastrophe à l’horizon», Le Devoir, 5-6 avril 2014). Mais le
climat n’est qu’un volet de la crise écologique. Et même si le GIEC se trompait
dans ses pronostics, d’autres volets, dus aussi à une économie productiviste
qui s’est emballée et mondialisée depuis trente ans, sont des phénomènes avérés :
épuisement des énergies fossiles et d’autres ressources non renouvelables,
émission massive de polluants dans le sol et l’eau, en plus de l’air,
destruction de la biodiversité, etc. (A. Bernier, M. Marchand, Op. cit., p. 9-10).
[12] Cité par Leonardo Boff, «Hoy revolucion significa echar el freno
de emergencia», page de L. Boff dans Koinonia,
19 janvier 2014. Version française dans Ça roule au CAPMO, année 14, Nº 6, février 2014, p. 6-7.
[13] Line Resource, une entreprise dont les activités sont concentrées
au Canada profite du fait qu’elle soit enregistrée au Delaware (paradis fiscal)
pour poursuivre le gouvernement canadien,
en vertu du chapitre 11 de l’ALÉNA, pour le moratoire du Québec sur le
gaz de schiste. Elle réclame 250 millions $. (Fannie Olivier, «Dommages
réclamés pour le moratoire du Québec sur le gaz de schiste», La Presse, 3 octobre 2013)
[14] Cf. Alain RENAUT, L’ère de l’individu [Bibliothèque des
Idées], Paris, Gallimard, 1989, pp. 105ss.
[15] Pour reprendre l’image de N.
Wiebe (Via campesina), dans un tel
modèle, le marché n’est plus une
place au centre du village, mais c’est tout le village qui n’est devenu que
marché.
[16] Voir F. Dermange, Le Dieu du Marché. Éthique, économie et
théologie dans l’œuvre d’Adam Smith, Genève, Labor et Fides, 2003.
[17] Cité par François
Normand, «Et le bien commun?», Le Devoir,
30 novembre 1999. Définition lancée au moment où les pays de l’OCDE amorçaient,
à Paris, des négociations secrètes sur l’Accord multilatéral sur les
investissements (AMI).
[18] Genèse 1,28.
[19] Paul Chamberland.
[20] Citation d’un personnage de la trilogie
du cinéaste Pierre Perreault sur l’Île-aux-Coudres.
[21] Ce sera l’une des questions qu’on pourra aborder dans le cadre
d’un prochain texte sur les implications pratiques de nos analyses.
[22] Au sens français du terme, comme dans « vin de pays ».
[23] Expression
empruntée à D. BOURG et P. ROCH (dir.), Crise
écologique, crise des valeurs? Défis pour
l’anthropologie et la spiritualité, Labor et Fides, 2010, p. 206.
[24] On peut voir ici comment les modes de rapport social privilégiés, tels celui d’une domination
des pouvoirs ou celui d’une interdépendance solidaire, ont des conséquences sur
le sort réservé au territoire.
[25] Osée 2, 20-24.
[26] Jérémie 31, 33s ; Ézéchiel
36, 26s.
[27] Isaïe 42,6; 49,6ss.
[28] Marc 14, 24; Luc 22,20, en
écho à Isaïe 53,10.
[29] Genèse 22, 18
[32] Matthieu 25.
[33] Romains 5,5; 8, 4-16.
[34] Éphésiens 2, 11-17.
[35] Colossiens 1, 20.
[36] Romains 8, 18-21.
[37] Michée 2, 15; Isaïe 5,
8-10; Matthieu 5,4.
[38] Marcelo
Barros.
Aucun commentaire:
Publier un commentaire