16 novembre 2012

Abdiquer ou résister ?


Développement et Paix a-t-il définitivement perdu son âme ? Faut-il abdiquer ou résister ? Révoltés, des amis et membres de longue date choisissent de se retirer publiquement. On peut les comprendre. Des piliers de l’organisation démissionnent : leur situation était devenue insoutenable à l’interne. Cela signifierait-il que les efforts déployés à la base pour organiser la résistance seraient vains ? Comme Groupe de théologie contextuelle québécoise (GTCQ) qui réfléchit et s’engage depuis 1985 à propos des enjeux de la société et de l’Église d’ici, de même que comme amis et amies de Développement et Paix, nous croyons au contraire qu’il faut appuyer cette résistance et y mettre tous les efforts, par conviction politique et théologique.

 La crise que subit Développement et Paix depuis quelque temps a d’abord été difficile à saisir, particulièrement en raison du manque de transparence manifesté par ses principaux acteurs : la Conférence des évêques catholiques du Canada et la direction de l’Organisme sous les pressions des évêques. Le plus récent épisode de cette crise est l’annulation de l’essentiel de la campagne d’automne 2012. Celle-ci, tout comme les campagnes du même type depuis 1977, avait un objectif de conscientisation et visait à proposer une action précise concernant les causes structurelles d’une injustice spécifique. L’intervention des évêques a révélé plus clairement quelques-uns des ressorts de cette  crise qui n’en finit pas et qui désespère tant les catholiques du pays que maints partenaires de Développement et Paix au Canada et dans les pays du Sud.

 Il apparaît de plus en plus clairement que le facteur décisif réside dans un coup de force perpétré par une minorité d’évêques de la CÉCC dans la foulée des attaques menées par l’agence LifeSiteNews contre Développement et Paix en 2009 puis de nouveau en 2011. Nous déplorons le chantage et l’intimidation auxquels on a eu recours depuis lors pour imposer à Développement et Paix des décisions inspirées d’une conception rétrograde de l’Église et de sa mission, avec la tentative d’entraîner toute la CÉCC dans ce sillage. Nous n’y reconnaissons plus la plupart de nos évêques. La vision qui nous paraît sous-tendre ce revirement est celle qui prévaut actuellement au Vatican, qui a été imposée à  l’organisation Caritas internationalis et le sera peut-être bientôt à la CIDSE (Coopération internationale pour le développement et la solidarité), deux regroupements d’ONG catholiques auxquels  Développement et Paix est affilié.

 Deux reculs destructeurs

 Les deux principaux éléments de cette vision qui sont en cause dans le fiasco qui nous afflige sont à notre avis les suivants : l’interdiction faite à Développement et Paix de contester les pouvoirs politiques, et la mise sous tutelle de facto, par la hiérarchie cléricale, d’un organisme confié à la responsabilité des laïcs par ses statuts officiels.

 Dans un communiqué récent, le président de la CÉCC, Mgr. R. Smith, et le président du Conseil national de Développement et Paix, monsieur R. Breau, affirmaient conjointement que leur décision était fondée sur le souci de préserver l’unité. Nous nous trouvons en réalité devant deux dérives qui menacent l’avenir et l’unité de l’Église bien davantage que la campagne d’automne initialement planifiée par Développement et Paix. En effet, celle-ci visait simplement à faire examiner en comité parlementaire les orientations actuelles du gouvernement Harper en matière d’aide publique au développement. Qu’y a-t-il là de plus menaçant pour l’unité cette fois-ci que lors des campagnes précédentes de conscientisation et d’éducation menées par Développement et Paix ?

 La première de ces dérives équivaut à dissocier l’espérance annoncée par Jésus de toute transformation effective des structures sociales et politiques génératrices d’injustice, d’exclusion et de violation des droits humains. On en revient ainsi à une conception de l’Église située en marge ou en surplomb de la société, ou encore en collusion avec les pouvoirs en place, plutôt que comme solidaire de ce monde au sein duquel le concile Vatican II la présentait comme «servante et pauvre», toute tendue vers le Royaume et engagée à soutenir prophétiquement les aspirations des peuples à la justice et à la paix.

 La seconde s’inscrit  dans la volonté romaine de réaffirmer la suprématie de l’institution cléricale devant la menace appréhendée d’une autonomisation croissante du laïcat. Ce durcissement est en contradiction flagrante avec la théologie de l’Église comme peuple de Dieu, telle que réaffirmée par Vatican II. Il ne peut que faire se replier l’Église sur ses intérêts internes, démobiliser les laïcs alors qu’on les appelle à l’engagement, décourager des efforts de renouvellement et de créativité pourtant si urgents, et marginaliser encore davantage une institution en voie de discréditation.

 Rien là de cohérent avec les objectifs déclarés de la Nouvelle évangélisation. Rien non plus pour redonner espoir aux nombreux catholiques qui sont ébranlés dans leur affiliation ecclésiale par toutes sortes de scandales et de décisions désolantes. Au contraire, l’intervention récente de la CÉCC à l’encontre de Développement et Paix ne fait que blesser davantage la confiance dans les autorités pastorales de l’Église en créant confusion, déception et colère, y compris parmi des membres du clergé et même de l’épiscopat. L’unité au nom de laquelle on a voulu justifier cette intervention est-elle ainsi mieux servie ?

 Appel aux Conseils diocésains

 Devant pareil détournement de mission, la résistance s’impose. D’où peut-elle venir ? Malgré les embûches, elle s’organise déjà dans le réseau des militants et des instances internes. À notre avis, le pivot central de cette résistance se trouve au Conseil national de Développement et Paix. Il est urgent qu’il se ressaisisse et réaffirme à la fois son autonomie devant tout abus de pouvoir et sa détermination à respecter les orientations fondamentales de l’Organisation, à commencer par sa mission d’éducation et de plaidoyer. Il se doit notamment de ne pas céder à quelque pression d’ordre politique ou financier que ce soit. Mieux vaudrait un organisme aux moyens réduits mais fidèle à sa mission qu’une apparence de continuité dans la trahison ou l’affadissement.

 Pour relever ce défi, Il faudra d’abord s’assurer de choisir comme membres du Conseil et de son exécutif des personnes convaincues de l’urgence de ce redressement autant que de la poursuite de la mission intégrale de l’Organisme. Nous encourageons les conseils diocésains et les équipes locales à favoriser toute mesure en ce sens de même qu’à se lever et à exercer les pressions nécessaires. Soyez assurés que vous nous trouverez nombreux à vos côtés.

Le Groupe de théologie contextuelle québécoise
 
  Michel Beaudin, Céline Beaulieu, Guy Côté,
Lise Lebrun, Richard Renshaw