Développement et Paix a-t-il
définitivement perdu son âme ? Faut-il abdiquer ou résister ? Révoltés, des
amis et membres de longue date choisissent de se retirer publiquement. On peut
les comprendre. Des piliers de l’organisation démissionnent : leur
situation était devenue insoutenable à l’interne. Cela signifierait-il que les
efforts déployés à la base pour organiser la résistance seraient vains ? Comme Groupe
de théologie contextuelle québécoise (GTCQ) qui réfléchit et s’engage depuis
1985 à propos des enjeux de la société et de l’Église d’ici, de même que comme
amis et amies de Développement et Paix, nous croyons au contraire qu’il faut
appuyer cette résistance et y mettre tous les efforts, par conviction politique
et théologique.
La crise que subit Développement et
Paix depuis quelque temps a d’abord été difficile à saisir, particulièrement en
raison du manque de transparence manifesté par ses principaux acteurs : la Conférence des évêques
catholiques du Canada et la direction de l’Organisme sous les pressions des
évêques. Le plus récent épisode de cette crise est l’annulation de l’essentiel
de la campagne d’automne 2012. Celle-ci, tout comme les campagnes du même type
depuis 1977, avait un objectif de conscientisation et visait à proposer une
action précise concernant les causes structurelles d’une injustice spécifique.
L’intervention des évêques a révélé plus clairement quelques-uns des ressorts
de cette crise qui n’en finit pas et qui
désespère tant les catholiques du pays que maints partenaires de Développement
et Paix au Canada et dans les pays du Sud.
Il apparaît de plus en plus
clairement que le facteur décisif réside dans un coup de force perpétré par une
minorité d’évêques de la CÉCC
dans la foulée des attaques menées par l’agence LifeSiteNews contre Développement et Paix en 2009 puis de nouveau
en 2011. Nous déplorons le chantage et l’intimidation auxquels on a eu recours depuis
lors pour imposer à Développement et Paix des décisions inspirées d’une
conception rétrograde de l’Église et de sa mission, avec la tentative d’entraîner
toute la CÉCC
dans ce sillage. Nous n’y reconnaissons plus la plupart de nos évêques. La vision
qui nous paraît sous-tendre ce revirement est celle qui prévaut actuellement au
Vatican, qui a été imposée à l’organisation
Caritas internationalis et le sera
peut-être bientôt à la CIDSE (Coopération internationale pour le
développement et la solidarité),
deux regroupements d’ONG catholiques auxquels Développement et Paix est affilié.
Deux reculs
destructeurs
Les deux principaux éléments de
cette vision qui sont en cause dans le fiasco qui nous afflige sont à notre
avis les suivants : l’interdiction faite à Développement et Paix de contester
les pouvoirs politiques, et la mise sous tutelle de facto, par la hiérarchie cléricale, d’un organisme confié à la
responsabilité des laïcs par ses statuts officiels.
Dans un communiqué récent, le
président de la CÉCC,
Mgr. R. Smith, et le président du Conseil national
de Développement et Paix, monsieur R. Breau, affirmaient conjointement que leur
décision était fondée sur le souci de préserver l’unité. Nous nous trouvons en
réalité devant deux dérives qui menacent l’avenir et l’unité de l’Église bien
davantage que la campagne d’automne initialement planifiée par Développement et
Paix. En effet, celle-ci visait simplement à faire examiner en comité
parlementaire les orientations actuelles du gouvernement Harper en matière
d’aide publique au développement. Qu’y a-t-il là de plus menaçant pour l’unité
cette fois-ci que lors des campagnes précédentes de conscientisation et
d’éducation menées par Développement et Paix ?
La première de ces dérives équivaut
à dissocier l’espérance annoncée par Jésus de toute transformation effective
des structures sociales et politiques génératrices d’injustice, d’exclusion et
de violation des droits humains. On en revient ainsi à une conception de
l’Église située en marge ou en surplomb de la société, ou encore en collusion
avec les pouvoirs en place, plutôt que comme solidaire de ce monde au sein
duquel le concile Vatican II la présentait comme «servante et pauvre», toute
tendue vers le Royaume et engagée à soutenir prophétiquement les aspirations
des peuples à la justice et à la paix.
La seconde s’inscrit dans la volonté romaine de réaffirmer la
suprématie de l’institution cléricale devant la menace appréhendée d’une autonomisation
croissante du laïcat. Ce durcissement est en contradiction flagrante avec la
théologie de l’Église comme peuple de Dieu, telle que réaffirmée par Vatican
II. Il ne peut que faire se replier l’Église sur ses intérêts internes, démobiliser
les laïcs alors qu’on les appelle à l’engagement, décourager des efforts de
renouvellement et de créativité pourtant si urgents, et marginaliser encore
davantage une institution en voie de discréditation.
Rien là de cohérent avec les
objectifs déclarés de la Nouvelle évangélisation. Rien non plus pour redonner
espoir aux nombreux catholiques qui sont ébranlés dans leur affiliation
ecclésiale par toutes sortes de scandales et de décisions désolantes. Au
contraire, l’intervention récente de la
CÉCC à l’encontre de Développement et Paix ne fait que
blesser davantage la confiance dans les autorités pastorales de l’Église en
créant confusion, déception et colère, y compris parmi des membres du clergé et
même de l’épiscopat. L’unité au nom de laquelle on a voulu justifier cette
intervention est-elle ainsi mieux servie ?
Appel aux
Conseils diocésains
Devant pareil détournement de
mission, la résistance s’impose. D’où peut-elle venir ? Malgré les embûches, elle
s’organise déjà dans le réseau des militants et des instances internes. À notre
avis, le pivot central de cette résistance se trouve au Conseil national de
Développement et Paix. Il est urgent qu’il se ressaisisse et réaffirme à la
fois son autonomie devant tout abus de pouvoir et sa détermination à respecter
les orientations fondamentales de l’Organisation, à commencer par sa mission
d’éducation et de plaidoyer. Il se doit notamment de ne pas céder à quelque
pression d’ordre politique ou financier que ce soit. Mieux vaudrait un
organisme aux moyens réduits mais fidèle à sa mission qu’une apparence de
continuité dans la trahison ou l’affadissement.
Pour relever ce défi, Il faudra d’abord s’assurer de choisir
comme membres du Conseil et de son exécutif des personnes convaincues de l’urgence
de ce redressement autant que de la poursuite de la mission intégrale de
l’Organisme. Nous encourageons les conseils diocésains et les équipes locales à
favoriser toute mesure en ce sens de même qu’à se lever et à exercer les
pressions nécessaires. Soyez assurés que vous nous trouverez nombreux à vos
côtés.
Le Groupe
de théologie contextuelle québécoise
Michel Beaudin, Céline Beaulieu,
Guy Côté,
Lise
Lebrun, Richard Renshaw
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